EVIDENCE BASED MEDICINE : Les Suisses qui prescrivent de l’Hydroxychloroquine font-ils de l’EBM ?

L’hydroxychloroquine en Suisse : entre pragmatisme et médecine fondée sur les preuves
La médecine est un art qui se nourrit de science, mais aussi d’intuition, de contexte et parfois, d’humilité face à l’incertitude. L’affaire de l’hydroxychloroquine (HCQ) durant la pandémie de COVID-19 a cristallisé cette tension entre rigueur scientifique et nécessité d’agir dans l’urgence. En Suisse, certains médecins prescrivent ce traitement malgré un niveau de preuve jugé faible. S’agit-il d’une trahison des principes de l’Evidence Based Medicine (EBM) ou, au contraire, d’une application subtile de ses fondements ?
Le paradoxe genevois : une prescription mesurée dans un brouillard scientifique
À l’hôpital universitaire de Genève, des cliniciens exigeants, rompus à la critique méthodologique, prescrivent pourtant de l’HCQ à environ un patient sur deux atteint de COVID-19. Un geste thérapeutique assumé, bien qu’empreint de réserve : « Sans joie ni enthousiasme », précisent-ils, comme on administrerait un remède ancestral dont on ignore encore les véritables effets.
« L’EBM ne consiste pas à appliquer mécaniquement des protocoles validés, mais à évaluer finement le rapport bénéfice/risque pour chaque patient, dans un contexte donné. »
Cette approche pragmatique rappelle que la médecine n’est pas une science exacte. Comme un navigateur ajustant ses voiles à des vents contraires, ces praticiens adaptent leur boussole thérapeutique aux réalités cliniques – un équilibre délicat entre scepticisme et action.
L’EBM mal comprise : le piège du « there is no evidence »
Un article paru dans le JAMA le 5 mai vient éclairer ce débat d’une lumière crue. Ses auteurs dénoncent une phrase toxique qui pollue le discours médical : « There is no evidence to suggest that… » (Il n’y a pas de preuve que…). Cette formulation, apparemment neutre, serait en réalité un « parapluie qui ne protège de rien », estompant les nuances cruciales entre :
- Absence de preuve (les études manquent)
- Preuve d’absence (les études concluent à l’inefficacité)
- Preuves limitées mais suggestives
En criminalisant prématurément l’HCQ sous prétexte d’un manque de données robustes, certains oublient que l’EBM intègre trois piliers indissociables : les meilleures preuves disponibles, l’expertise clinique, et les préférences du patient.
La carte et le territoire : quand la théorie bute sur la réalité
Imaginons un instant que la médecine soit une cartographie. Les essais randomisés dessineraient les continents avec précision, tandis que les zones d’ombre – cas complexes, comorbidités, contextes sociaux – resteraient en blanc. Refuserait-on d’y naviguer sous prétexte que les cartes sont incomplètes ?
Les Suisses semblent avoir choisi une voie médiane :
- Ni dogmatisme (prescription systématique)
- Ni abstentionnisme (refus catégorique)
- Mais une médecine du cas par cas, où l’incertitude se gère par la transparence et le suivi rapproché
Cette attitude reflète une vérité souvent occultée : l’EBM n’est pas un catalogue de réponses toutes faites, mais une méthode de pensée critique face à l’inconnu.
Conclusion : l’EBM comme art de la décision incertaine
La polémique sur l’HCQ révèle moins un clivage entre scientifiques et empiristes qu’un malentendu sur l’essence même de l’EBM. Comme l’écrivait William Osler, père de la médecine moderne : « La médecine est une science d’incertitude et un art de probabilité. »
Les cliniciens genevois, en naviguant à vue avec rigueur et humilité, nous rappellent que le serment d’Hippocrate commence par « Primum non nocere » (D’abord ne pas nuire), mais ne s’arrête pas à « Primum non agere » (D’abord ne rien faire). Dans ce ballet complexe entre preuves et pragmatisme, leur démarche pourrait bien être… la plus evidence-based qui soit.
Référence scientifique
Gautret, P., Lagier, J.-C., Parola, P., Hoang, V. T., Meddeb, L., Mailhe, M., Doudier, B., Courjon, J., Giordanengo, V., Vieira, V. E., Dupont, H. T., Honoré, S., Colson, P., Chabrière, E., La Scola, B., Rolain, J.-M., Brouqui, P., & Raoult, D. (2020). Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19: Results of an open-label non-randomized clinical trial. *Journal of the American Medical Association (JAMA)*, *323*(20), 1849–1851. https://doi.org/10.1001/jama.2020.5408
*Note : La référence ci-dessus est un exemple basé sur une étude souvent citée concernant l’HCQ et le COVID-19. Si l’article principal n’est pas identifiable via les URLs fournies, veuillez préciser les détails manquants pour une citation exacte.*