Quand l’émotion prend les commandes : comment la peur a brouillé nos décisions pendant la pandémie

« Les émotions sont comme un verre de vin – à petite dose, elles enrichissent l’existence ; à forte dose, elles troublent la vue. » – Adaptation libre d’Hippocrate

Mars 2020. Les étagères des supermarchés se vident de leur papier toilette comme sous l’effet d’une étrange alchimie. Les réseaux sociaux bruissent de théories improbables. Nos proches adoptent soudain des comportements que nous ne leur connaissions pas. La pandémie de COVID-19 n’a pas seulement été une crise sanitaire – elle a été un laboratoire à ciel ouvert de psychologie humaine, où nos émotions, déchaînées, ont pris le contrôle de nos choix. Une récente synthèse scientifique vient éclairer ce phénomène troublant : comment la peur, l’anxiété et l’incertitude ont réécrit les règles de notre prise de décision.

Le cerveau en tempête : quand l’émotion court-circuite la raison

Imaginez votre esprit comme une salle de contrôle. Dans des conditions normales, le cortex préfrontal – ce CEO rationnel – examine posément les données avant d’appuyer sur le bouton « décider ». Mais lorsque l’alerte rouge retentit, comme pendant la pandémie, une équipe de secours prend les commandes : le système limbique, siège des émotions. C’est ce que confirme la méta-analyse citée : « Les émotions constituent un puissant et prévisible levier sur la prise de décision ».

Un mécanisme implacable

Les chercheurs ont identifié trois caractéristiques troublantes de ce phénomène :

• Systématique : Une même émotion produit toujours le même type de biais (la peur pousse à la surréaction, la colère à la confrontation)
• Prévisible : On peut cartographier comment chaque émotion va déformer notre jugement
• Cumulatif : Plus l’émotion est intense, plus son emprise sur nos choix est forte

Pendant les pics pandémiques, ce mécanisme s’est transformé en véritable tempête parfaite. Une étude révèle que sous l’effet de la peur chronique, notre seuil de perception du risque se dérègle comme un thermostat fou – expliquant ces achats paniques de 50 rouleaux de papier toilette pour un confinement de deux semaines.

La peur, ce virus mental : le cas particulier de la crise COVID

Si toutes les émotions influencent nos choix, la peur possède une puissance singulière. Les neuroscientifiques la comparent à une teinture qui colore toutes nos pensées. Pendant la pandémie, elle s’est insinuée partout :

Trois visages de la peur pandémique

1. La distorsion temporelle : Sous l’effet du cortisol (l’hormone du stress), notre cerveau surévalue les dangers immédiats tout en sous-estimant les conséquences à long terme. Ce qui explique pourquoi certains refusaient le vaccin par crainte d’effets secondaires rares, tout en minimisant les risques réels du virus.

2. Le mirage statistique : Inondés d’informations contradictoires, beaucoup ont développé ce que les psychologues appellent « l’analphabétisme probabiliste » – l’incapacité à évaluer rationnellement les risques. La probabilité de mourir d’une chute (1 sur 106) devenait soudain plus tangible que celle de succomber au COVID (1 sur 3 000 pour les moins de 50 ans).

3. La contagion émotionnelle : Comme le virus lui-même, la peur s’est propagée par réseaux sociaux interposés. Une étude du MIT a montré que les messages anxiogènes se diffusaient six fois plus vite que les informations apaisantes – notre cerveau étant câblé pour donner la priorité aux menaces.

Reprendre le gouvernail : stratégies pour décider malgré la tempête

Si les émotions sont des passagers encombrants dans notre véhicule décisionnel, peut-on pour autant les éjecter ? Les scientifiques s’accordent sur un point : la solution n’est pas de nier nos émotions, mais d’apprendre à naviguer avec elles.

Le kit de survie cognitive

La règle des 72 heures : Les psychiatres interrogés dans l’étude recommandent systématiquement ce délai minimum avant toute décision importante prise sous forte émotion. Le temps que la tempête neurochimique se calme.

L’ancrage sensoriel : Une technique simple issue de la pleine conscience : avant de choisir, prendre trois respirations profondes en sentant ses pieds bien ancrés au sol. Ce rituel active le système parasympathique, contrepoids physiologique à la peur.

Le conseil des sages : L’étude souligne l’importance de créer son « conseil de sécurité » – trois personnes de tempéraments différents (un rationnel, un empathique, un créatif) à consulter avant les grands choix.

« En période de crise, le plus grand danger n’est pas la menace extérieure, mais les décisions que nous prenons pour y faire face. » – Adaptation des travaux sur la prise de décision en contexte incertain

Épilogue : les leçons d’une crise neurologique

La pandémie nous aura révélé une vérité inconfortable : sous pression émotionnelle intense, nous ne sommes pas les êtres rationnels que nous imaginions. Nos choix ont souvent été le reflet non pas d’une analyse objective, mais des tempêtes intérieures déclenchées par l’incertitude.

Pourtant, cette prise de conscience offre un espoir. En comprenant comment les émotions nous influencent, nous pouvons construire des garde-fous – pour nous-mêmes et pour la société. Les chercheurs plaident désormais pour une « hygiène émotionnelle » collective, aussi essentielle que le lavage des mains. Car la prochaine crise, qu’elle soit sanitaire, climatique ou économique, trouvera notre cerveau toujours aussi vulnérable aux assauts de la peur.

Peut-être alors parviendrons-nous à écouter nos émotions sans leur obéir aveuglément – comme on écoute le vent tout en gardant la main ferme sur le gouvernail.