98.5 % de nos gènes ne servent a rien? Vraiment? L’exemple de l’Autisme

L’ADN « poubelle » : un trésor caché dans les plis de notre génome
Imaginez un livre dont seulement 15 pages sur 1000 contiendraient le récit principal. Les autres, remplies de notes marginales, d’annotations énigmatiques et de symboles obscurs, seraient-elles pour autant inutiles ? C’est pourtant le paradoxe qui hante la génétique depuis des décennies : 98,5 % de notre ADN, qualifié de « non codant », semblait condamné au rôle de figurant silencieux. Mais l’autisme, ce trouble neurodéveloppemental aux mille visages, vient aujourd’hui bouleverser ce dogme. Comme un éclairage soudain dans les marges d’un manuscrit ancien, la science révèle que ces régions négligées orchestrent en réalité une symphonie moléculaire délicate – dont les fausses notes peuvent changer le destin de nos neurones.
Le mythe de l’ADN poubelle : une histoire à réécrire
L’idée d’un génome essentiellement inutile remonte aux années 1970, quand les généticiens, fascinés par les gènes « codants » (ceux qui fabriquent directement nos protéines), baptisèrent le reste du matériel génétique du méprisant terme de junk DNA. « On a longtemps vu notre ADN comme une usine où seuls les ouvriers (les gènes codants) comptaient, explique le Dr. Anne Fagot-Largeault, philosophe des sciences. Les autres zones ? Un chantier encombré de pièces détachées rouillées. »
Pourtant, l’étude révolutionnaire publiée dans Science en décembre 2018 a retourné cette vision comme un gant. En scrutant les génomes de familles touchées par l’autisme, les chercheurs ont découvert que des mutations dans les régions promotrices – ces séquences non codantes qui allument ou éteignent les gènes comme des interrupteurs – jouaient un rôle clé dans le trouble. « C’est comme découvrir que les notes en bas de page d’un roman en déterminent secrètement l’intrigue », image le généticien Simon Fisher.
Autisme : quand les régulateurs perdent le tempo
Le billard à trois bandes de l’ADN non codant
Pour comprendre ce mécanisme subtil, imaginons un chef d’orchestre (l’ADN non codant) dont un geste maladroit (une mutation) ferait jouer trop fort les violons (les gènes du développement neuronal). L’étude révèle précisément ce scénario :
- Les variants de novo (mutations absentes chez les parents) s’accumulent dans les promoteurs des enfants autistes
- Ces promoteurs dysfonctionnels perturbent des gènes impliqués dans la synapse et la migration neuronale
- Le « score de risque » développé par les chercheurs montre que ces variations comptent autant que celles des gènes codants
« C’est un changement de paradigme : l’autisme ne naît pas seulement dans les briques du cerveau, mais dans les instructions qui disent comment les assembler », souligne le Pr. Thomas Bourgeron, pionnier de la génétique de l’autisme.
Les implications : vers une médecine du génome invisible
Cette découverte ouvre trois perspectives majeures :
1. Diagnostic : Aujourd’hui, seuls 20 % des cas d’autisme s’expliquent par des anomalies génétiques identifiées. L’étude des promoteurs pourrait combler une partie de ce « manquant ».
2. Thérapie : Cibler ces régions régulatrices avec des outils comme CRISPR offre des pistes inédites, même si le chemin reste long.
3. Philosophie du vivant : « Cela nous force à repenser l’évolution, remarque la biologiste Évelyne Heyer. Si ces zones semblaient inutiles, c’est que nous regardions avec des lunettes trop étroites. »
Conclusion : Le génome comme paysage vivant
L’histoire de l’ADN non codant et de l’autisme ressemble à ces cartes médiévales où les marges, d’abord remplies de monstres fantasmagoriques, se peuplent peu à peu de terres réelles. Ce qui semblait être le désert génétique s’avère un écosystème riche, où chaque mot – même silencieux – participe au récit de notre biologie. « Le génome est une partition où même les silences ont un sens », conclut le neuroscientifique Christophe Bernard. Pour les personnes autistes, cette compréhension nouvelle est peut-être le premier pas vers une société qui, enfin, saura lire entre leurs lignes.
Référence scientifique
An, J.-Y., Lin, K., Zhu, L., Werling, D. M., Dong, S., Brand, H., Wang, H. Z., Zhao, X., Schwartz, G. B., Collins, R. L., Currall, B. B., Dastmalchi, C., Dea, J., Duhn, C., Gilson, M. C., Klei, L., Liang, L., Markenscoff-Papadimitriou, E., Pochareddy, S., … & Autism Sequencing Consortium. (2018). Genome-wide de novo risk score implicates promoter variation in autism spectrum disorder. *Science*, *362*(6420), eaat6576. https://doi.org/10.1126/science.aat6576